Faire un film

Ce site a été réalisé par Stéphane Gatti (réalisateur) et Jean-paul Olive (compositeur et musicologue).
Il est la première marche vers la réalisation d'un documentaire consacré à György Kurtag. Ensemble, ils ont déjà réalisé deux films sur le geste musical : Bagatelles Inventaire consacré aux 6 Bagatelles d'Anton Webern (https://vimeo.com/206442072) et un second film en cours de finition "Les Pierrot Lunaire" de Schönberg.

Note d'intention

 

György Kurtág, l’un des très grands compositeurs européens de la deuxième moitiés du XXe siècle, aura 90 ans en 2016 ; après avoir vécu, étudié, enseigné et créé de nombreuses oeuvres en Hongrie, György Kurtág a résidé plus de vingt ans en France avant de retourner vivre dans son pays natal. 

Né en Roumanie en 1926, György Kurtág a étudié le piano et la composition. À partir de 1045, à Budapest, il étudie la composition auprès de Fernec, le piano et la musique de chambre. Contrairement à cet autre grand compositeur hongrois qu’est György Ligeti, G. Kurtág est resté en Hongrie où ses œuvres sont créées jusque dans les années quatre-vingt. Il réside à Paris en 1957-1958 et étudie avec Marianne Stein tout en suivant des cours d'Olivier Messiaen et de Darius Milhaud. C’est là qu’il s’imprègne de la Nouvelle musique et des techniques de la Deuxième Ecole de Vienne (Arnold Schoenberg, Anton Webern) mais aussi de Stravinsky et de compositeurs plus jeunes comme Boulez ou Stockhausen. C’est durant ce séjour à Paris que Kurtág traverse une profonde crise existentielle et compositionnelle qui marquera fortement sa production future ; la première œuvre qu'il écrit de retour à Budapest, un quatuor à cordes, est en effet intitulée opus n° 1.

Professeur de piano et de musique de chambre à l'Académie de Budapest de 1967 jusqu’à 1986, il accompagne sa carrière de compositeur par un travail constant de pédagogue. Cette double activité se manifeste, entre autres par l’écriture du cycle de pièces pour piano Jatékok (Jeux, 1973-1976) qui est à la fois une sorte de laboratoire du compositeur et une méthode novatrice pour l’apprentissage du piano qui prend en compte les gestes et jeux des enfants.

La majorité des œuvres de Kurtág est constituée d’aphorismes ou de pièces constituées de fragments assemblés. La voix – au croisement du sens et du chant, du parlé et de l’instrumental - joue pour lui un rôle déterminant et il en renouvelle les qualités expressives  dans des œuvres souvent réunies sous forme de cycles : Messages de feu Demoiselle Troussova, pour soprano et ensemble (1980), Les dits de Peter Bornemisza pour voix et piano (1980) ou les Kafka Fragmente pour soprano et violon. La sonorité et le sens des mots demeurent pour Kurtág essentiels et la musique qu’il écrit sur les textes de Pilinszky, Dalos, Kafka ou encore Beckett, représente, au XXe siècle, un cas rare de fusion expressive et dialectique des deux medias. Cette qualité expressive, la souplesse et la fluidité propre aux œuvres vocales se transmet du reste à sa musique de chambre pour laquelle Kurtág invente tout un monde de sonorités en prolongeant l’écriture de Bartók qu’il enrichit de tous les apports rencontrés à l’Ouest. G. Kurtág a aussi composé des œuvres pour grand orchestre, comme Stele, Quasi una fantasia …, ou encore Concertante (2003).

 

Le but du film documentaire n’est pas seulement de fêter et d’honorer l’œuvre exceptionnelle de György Kurtág, mais surtout d’analyser, d’étudier et de transmettre ce qui forme le cœur vivant de l’expression musicale dans ses compositions musicales : la relation intimement nouée, pour ainsi dire organique, entre l’écriture et l’interprétation. Bien sûr, le fait que Kurtág ait si longtemps été à la fois compositeur et professeur de musique de chambre suffirait à témoigner de l’intimité des deux activités (composition et interprétation) qui sans cessent tressent leurs caractéristiques. Mais si l’on veut saisir plus profondément le processus d’écriture qui construit cette intimité, il est nécessaire d’évoquer quelques autres points importants :

 

- il y a d’abord l’extrême exigence du compositeur quant à la qualité de jeu, de sonorité, de gestes et d’expression demandée aux interprètes, ce qui pose une série de questions importantes concernant l’exécution musicale des œuvres écrites ; la dimension performative, toujours présente en musique, se trouve ici intensifiée par le mode d’écriture de Kurtág : présence de nombreuses didascalies et indications de caractères, diversité des modes de jeux instrumentaux complexes, souplesse de la rythmique et du tempo. Ainsi, les documents montrant les cours de G. Kurtág montrent à quel point il est demandé aux musiciens une compréhension sensible, quasi corporelle des informations, ce qui constitue du point de vue cognitif un mode de connaissance singulier, irréductible.

 

- il y a ensuite l’invention particulière dont fait preuve Kurtág en faisant appel à l’imaginaire instrumental, un imaginaire qui traverse à la fois son histoire personnelle, l’histoire de la musique mais aussi l’Histoire en général telle qu’elle s’inscrit dans les œuvres d’art ; cette dimension est chez lui très complexe car elle n’est pas seulement intellectuelle mais elle est avant tout sensible et artistique, possédant la profondeur, la charge expressive des matériaux artistiques du patrimoine musical : le monde du compositeur, on le sait, est plein de références, d’hommages, d’évocations, de citations, d’objets volés ou empruntés, déformés, mais aussi d’inflexions extrêmement subtiles que l’interprète se doit de connaître et reconnaître pour jouer cette musique. Il doit, en quelque sorte, par le travail de la mimesis, incorporer les contenus transhistoriques dans son jeu.

 

- enfin, il y a l’interactivité de l’interprétation sur la composition parce que les gestes musicaux deviennent à leur tour des matériaux, que ce soit sous l’aspect de caractères ou d’autres formes. Ils permettent à leur tour une élaboration seconde qui les extirpe de leur état statique, ils sont infiniment travaillés par György Kurtág qui les métamorphose, leur octroyant ainsi une nouvelle fraîcheur, un caractère inouï qui est  saisissant à la fois pour l’interprète et pour l’auditeur.